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6.2.2 Traitement des signaux analogiques

L'information analogique ne se prête pas telle quelle à un codage; il faut, au préalable, la transformer en numérique. La première étape d'une conversion analogique-numérique est le filtrage ou l'échantillonnage. Comme nous le verrons, ces deux opérations sont intimement liées.

6.2.2.1 Échantillonnage instantané: théorème de SHANNON

On décrit généralement l'échantillonnage dans le domaine temporel. Il s'agit du processus par lequel un signal analogique est converti en une série d'échantillons également espacés. L'opération n'a d'intérêt que s'il s'avère possible de reconstituer le signal analogique à partir des échantillons, ce qui dépendra principalement de la cadence d'échantillonnage. L'étude de cette cadence optimale fait l'objet du théorème de SHANNON.

Considérons un signal g(t) d'énergie finie, connu pour tout temps t. Supposons que l'on prenne un échantillon de ce signal à une cadence régulière, soit un échantillon toutes les Ts secondes. La séquence ainsi obtenue est notée {g[nTs]}, avec n $ \in$ $ \mathbb {N}$Ts est la période d'échantillonnage et son inverse, fs = 1/Ts est la fréquence d'échantillonnage. Cette forme d'échantillonnage est appelée échantillonnage instantané. L'important théorème suivant lie la fréquence d'échantillonnage à la valeur de la bande de base.

Théorème 73   [SHANNON] Une fonction g(t) à énergie finie et à spectre limité, c'est-à-dire dont la transformée de FOURIER $ \mathcal {G}$(f ) est nulle pour | f| > W, est entièrement déterminée par ses échantillons g[nTs], n $ \in$ { - $ \infty$, + $ \infty$} pour autant que la fréquence d'échantillonnage fs soit strictement supérieure au double de la borne supérieure du spectre

fs > 2W (6.1)

Démonstration

Pour démontrer cet important théorème, il suffit de noter que la fonction échantillonnée gs(t), définie par

gs(t) = $\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$g[nTs]$\displaystyle \delta$(t - nTs) (6.2)

n'est rien d'autre que le produit de la fonction g(t) par le train d'impulsions $ \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$$ \delta$(t - nTs). En fait, gs(t) correspond à une modulation d'amplitude de ce train par g(t). La transformée de FOURIER de gs(t) est donc la convolution des transformées des fonctions intervenant dans le produit temporel. Or, on montre que la transformée de FOURIER d'un train d'impulsions est un autre train d'impulsions [16]

$\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$$\displaystyle \delta$(t - nTs) $\displaystyle \rightleftharpoons$ $\displaystyle {\frac{{1}}{{T_{s}}}}$$\displaystyle \sum_{{k=-\infty}}^{{+\infty}}$$\displaystyle \delta$(f - $\displaystyle {\frac{{k}}{{T_{s}}}}$) (6.3)

Il s'ensuit que

gs(t) $\displaystyle \rightleftharpoons$ fs$\displaystyle \sum_{{i=-\infty}}^{{+\infty}}$$\displaystyle \mathcal {G}$(f - kfs) (6.4)

Le spectre du signal échantillonné s'obtient donc en répétant le spectre de g(t), centré sur les multiples de kfs. La figure 6.3 illustre les effets de l'échantillonnage. Dès lors, on ne peut reconstituer g(t), c'est-à-dire $ \mathcal {G}$(f ), à partir de gs(t), soit $ \mathcal {G}$s(f ), que si ces spectres ne se recouvrent pas. Cela implique fs > 2W, qui est la fréquence de NYQUIST. De plus, l'opération de reconstruction de g(t) à partir de sa version échantillonnée gs(t) est très simple; il suffit d'utiliser un filtre passe-bas de fréquence de coupure comprise entre W et fs - W et ayant un gain Ts dans la bande passante.


Figure 6.3: Échantillonnage instantané.
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Sur le plan technique, l'importance du théorème tient à ceci: l'infinité continue des valeurs du signal analogique contient la même information que l'infinité dénombrable de ses échantillons. La fréquence minimale d'échantillonnage, soit 2W, est appelée fréquence de NYQUIST.

Il convient de remarquer que la contrainte fs > 2W est souvent ramenée à fs $ \geq$ 2W. Il s'agit d'une erreur dans le cas de signaux sinusoïdaux. Pour s'en convaincre, il suffit d'échantillonner une sinusoïde de fréquence W à une fréquence 2W au droit de ses passages par zéro. Tous les échantillons de cette séquence sont nuls et il n'est dès lors pas possible de reconstituer la sinusoïde.

6.2.2.2 Formule d'interpolation de WHITTAKER

Le spectre de la fonction échantillonnée reproduit certes le signal initial dans la bande de base mais il lui adjoint une infinité de copie centrée sur les multiples de la fréquence d'échantillonnage; c'est l'effet du train d'impulsions dans le domaine temporel. Pour reconstruire le signal original, il suffit d'utiliser un filtre passe-bas idéal de transmittance égale à Ts jusqu'à la fréquence de coupure fco, choisie supérieure à W.

Prenons donc un filtre passe-bas idéal de transmittance égale à 1 jusqu'à la fréquence de coupure f = fco. Ce filtre passe-bas idéal possède la réponse impulsionnelle suivante

2fco$\displaystyle {\frac{{\sin(2\pi f_{co}t)}}{{2\pi f_{co}t}}}$ = 2fcosinc$\displaystyle \left(\vphantom{\frac{2t}{T_{co}}}\right.$$\displaystyle {\frac{{2t}}{{T_{co}}}}$$\displaystyle \left.\vphantom{\frac{2t}{T_{co}}}\right)$ (6.5)

Le signal reconstruit gr(t) résulte du passage de la fonction échantillonnée au travers du filtre passe-bas idéal auquel, pour l'instant, on attribue un gain A:

gr(t) = gs(t) $\displaystyle \otimes$ 2Afcosinc$\displaystyle \left(\vphantom{\frac{2t}{T_{co}}}\right.$$\displaystyle {\frac{{2t}}{{T_{co}}}}$$\displaystyle \left.\vphantom{\frac{2t}{T_{co}}}\right)$ (6.6)
  = $\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$g[nTs]$\displaystyle \delta$(t - nTs) $\displaystyle \otimes$ 2Afcosinc$\displaystyle \left(\vphantom{\frac{2t}{T_{co}}}\right.$$\displaystyle {\frac{{2t}}{{T_{co}}}}$$\displaystyle \left.\vphantom{\frac{2t}{T_{co}}}\right)$ (6.7)
  = 2Afco$\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$g[nTs]sinc$\displaystyle \left(\vphantom{\frac{2(t-nT_{s})}{T_{co}}}\right.$$\displaystyle {\frac{{2(t-nT_{s})}}{{T_{co}}}}$$\displaystyle \left.\vphantom{\frac{2(t-nT_{s})}{T_{co}}}\right)$ (6.8)

Il s'agit d'une formule d'interpolation permettant de reconstituer la fonction g(t) à une constante près. Le théorème de WHITTAKER résulte du cas précis où le gain A et la fréquence de coupure fco valent respectivement Ts et fs/2.

Théorème 74   [Formule d'interpolation de WHITTAKER] Soit g(t) un signal analogique intégrable de spectre borné [- W, W]. Soit {g[nTs]} l'ensemble de ses échantillons de pas Ts = 1/fs. La fonction g(t) s'écrit comme la série de fonctions

g(t) = $\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$g[nTs]sinc$\displaystyle \left(\vphantom{\frac{t-nT_{s}}{T_{s}}}\right.$$\displaystyle {\frac{{t-nT_{s}}}{{T_{s}}}}$$\displaystyle \left.\vphantom{\frac{t-nT_{s}}{T_{s}}}\right)$ (6.9)

Ce théorème est connu comme théorème de SHANNON par les uns, comme théorème de KOTELNIKOV par les autres. En fait, WHITTAKER l'a mentionné en 1918 et on attribue sa paternité à CAUCHY.

L'interprétation suivante est immédiate (cf. figure 6.4): sinc$ \left(\vphantom{\frac{t-nT_{s}}{T_{s}}}\right.$$ {\frac{{t-nT_{s}}}{{T_{s}}}}$$ \left.\vphantom{\frac{t-nT_{s}}{T_{s}}}\right)$ est égal à 1 pour t = nTs et égal à 0 pour tous les t = kTs tels que k $ \neq$ n. La somme de la série 6.9 se réduit donc à g[nTs] pour t = nTs. Le théorème signifie qu'entre ces valeurs cette série interpole exactement g(t).

Figure 6.4: Interprétation des termes de la formule d'interpolation de WHITTAKER.
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Dans la pratique, on opère sur des sommes finies telles

gN(t) = $\displaystyle \sum_{{n=-N}}^{{+N}}$g[nTs]sinc$\displaystyle \left(\vphantom{\frac{t-nT_{s}}{T_{s}}}\right.$$\displaystyle {\frac{{t-nT_{s}}}{{T_{s}}}}$$\displaystyle \left.\vphantom{\frac{t-nT_{s}}{T_{s}}}\right)$ (6.10)

gN(t) a les mêmes échantillons que g(t) pour | n| $ \leq$ N, mais gN[nTs] = 0 pour | n| $ \geq$ N.

6.2.2.3 Filtrage préalable à l'échantillonnage

L'établissement d'un cadre pour l'échantillonnage repose sur la propriété de largeur de bande limitée du signal g(t). En pratique, l'information n'est naturellement pas à bande limitée. La convolution par le train d'impulsions introduit alors un recouvrement entre bandes voisines dans le spectre; ce phénomène est appelé repli de spectre ou aliasing. L'opération de filtrage passe-bas s'avère incapable de supprimer ce recouvrement et on risque de voir apparaître, en raison du repli de spectre, une série de fréquences initialement absentes dans g(t). Deux approches suppriment ces effets indésirables:

  1. Un filtrage passe-bas préalable à l'échantillonnage réduit la largeur de la bande de base dans le respect du critère de SHANNON;
  2. Le signal est échantillonné à une fréquence légèrement supérieure à la fréquence de NYQUIST.

6.2.2.3.1 Formule de NYQUIST pratique.

En raison de la difficulté qu'il y a à réaliser un filtre ayant un flanc raide au droit de la fréquence de coupure, il est d'usage de définir une bande de garde dans laquelle la transition est plus douce. La bande de garde, typiquement de l'ordre de 10 à 20%, entraîne donc une augmentation de la fréquence d'échantillonnage. On parle parfois de la forme pratique du critère de NYQUIST, tenant compte de cette bande de garde

fs = 2, 2W (6.11)

Exemple. Soit à produire une signal numérique à partir d'un signal musical s'étendant jusqu'à 20 [kHz]. En toute rigueur, une fréquence d'échantillonnage supérieure à 40 [kHz] suffit. Pour des questions de réalisation de filtre, on utilise plutôt 44, 1 [kHz] dans le standard du CD-Audio et même 48 [kHz] pour des signaux de qualité studio.

6.2.2.4 Réalisation de l'échantillonnage

6.2.2.4.1 Émission.

L'échantillonnage se fait en pratique avec une porte analogique qui est un interrupteur fermé pendant une durée $ \tau$. Celle-ci doit évidemment être très petite par rapport à Ts. En effet, le signal échantillonné ainsi obtenu g$\scriptstyle \tau$(t) est le produit, dans le domaine temporel, de g(t) par un train ps(t) de rectangles de largeur $ \tau$

ps(t) = p(t) $\displaystyle \otimes$ $\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$$\displaystyle \delta$(t - nTs) = $\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$p(t - nTs) (6.12)

avec

p(t) = $\displaystyle \left\{\vphantom{ \begin{array}{lll} 1 & \textrm{si } & 0\leq t\leq\tau\\  0 & \textrm{sinon}\end{array}}\right.$$\displaystyle \begin{array}{lll} 1 & \textrm{si } & 0\leq t\leq\tau\\  0 & \textrm{sinon}\end{array}$ (6.13)

L'impulsion et son spectre sont dessinés à la figure 6.5.

La transformée de FOURIER de ps(t) étant

$\displaystyle \mathcal {P}$s(f )= $\displaystyle {\frac{{e^{-\pi jf\tau}}}{{T_{s}}}}$$\displaystyle {\frac{{\sin(\pi f\tau)}}{{\pi f}}}$$\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$$\displaystyle \delta$(f - nfs) (6.14)

Figure 6.5: Une impulsion et son spectre.
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Celle de g$\scriptstyle \tau$(t), parfois appelé signal échantillonné naturel, vaut

$\displaystyle \mathcal {G}$$\scriptstyle \tau$(f ) = $\displaystyle \mathcal {G}$(f ) $\displaystyle \otimes$ $\displaystyle \mathcal {P}$s(f ) (6.15)
  = $\displaystyle {\frac{{\tau}}{{T_{s}}}}$$\displaystyle \sum_{{n=-\infty}}^{{+\infty}}$e-n$\scriptstyle \pi$jfs$\scriptstyle \tau$$\displaystyle {\frac{{\sin(n\pi f_{s}\tau)}}{{n\pi f_{s}\tau}}}$$\displaystyle \mathcal {G}$(f - nfs) (6.16)

De ceci, on peut conclure que si la durée de fermeture de l'interrupteur n'est pas infinitésimale, les spectres répétés sont affectés de coefficients différents, bien que chacun d'eux reste une copie conforme de $ \mathcal {G}$(f ). La reconstruction à l'aide d'un filtre passe-bas reste donc correcte. Bien entendu, il faut pour cela que l'interrupteur soit parfait, comme on l'a supposé, c'est-à-dire qu'il ait une impédance nulle ou infinie selon qu'il est fermé ou ouvert.

Figure 6.6: Spectre d'un signal analogique et du signal échantillonné naturel.
7436  

En pratique, il faut souvent saisir le signal à l'instant d'échantillonnage et le maintenir dans une mémoire pendant un temps $ \tau_{{m}}^{}$ nécessaire à l'exécution de certaines opérations de calcul. Le plus souvent, cette mémoire est un condensateur.

6.2.2.5 Conversion analogique-numérique

Il existe une assez grande variété de convertisseurs analogique-numérique (A/D, pour Analog-to-Digital).

Dans un système de télécommunications où l'information fait l'objet d'un échantillonnage, le signal transmis a la forme d'un train d'impulsions. Il existe différentes façons de présenter l'information sous la forme d'une impulsion. Par exemple, on peut moduler l'amplitude d'un train d'impulsions (PAM, Pulse Amplitude Modulation). On pourrait de même conserver une amplitude constante à l'impulsion, mais rendre sa largeur $ \tau$ proportionnelle à l'échantillon (PDM, Pulse Duration Modulation) ou encore, garder à l'impulsion une amplitude et une largeur constante mais la décaler par rapport à son instant d'arrivée théorique kTs d'un temps variable, proportionnel à g[nTs], ce qui constitue une modulation de phase ou de position (PPM, Pulse Position Modulation). Dans toutes ces méthodes, la modulation d'impulsions reste analogique, en ce sens qu'un paramètre continu est rendu proportionnel à l'échantillon. Comme d'après le théorème de SHANNON, l'échantillonnage n'introduit aucune erreur, ces méthodes permettent en théorie une transmission rigoureusement fidèle de l'information. Elles ont en principe un avantage par rapport à la transmission continue du signal d'information g(t): à puissance moyenne égale, les impulsions ont une amplitude d'autant plus grande que le rapport $ \tau$/Ts est petit et elles peuvent d'autant mieux être isolées du bruit. La contrepartie est cependant sévère car la bande passante augmente dans des proportions inquiétantes.

Par exemple, pour un signal téléphonique limité à 3400 [Hz], on pourrait prendre fs = 8 [kHz], soit Ts = 125 [$ \mu$s]. Un rapport $ \tau$/Ts = 0, 1 donne une durée de $ \tau$ = 12, 5 [$ \mu$s], ce qui exige une bande passante minimale de l'ordre de 50 [kHz] si l'on veut plus ou mois respecter la forme des impulsions6.1. Cela ne constituerait pas nécessairement un inconvénient majeur, car c'est une règle générale que l'élargissement du spectre apporte une amélioration du rapport signal à bruit.

Aussi, les modulations analogiques d'un train d'impulsions n'ont-elles pas connu un très grand succès. Ce n'est pas le cas des modulations numériques comme on va le voir. En plus, une transmission d'impulsions sans en déformer la forme n'est pas une chose simple.

Dans un système de télécommunications où l'information fait l'objet d'un échantillonnage, on dispose d'un temps inférieur ou égal à la période d'échantillonnage Ts pour transmettre l'échantillon. Le signal transmis a donc la forme d'un train d'impulsions. Il existe diverses façons de présenter l'information sous la forme d'une impulsion.



Notes

... impulsions6.1
Ce calcul se base sur le fait que la bande passante d'un signal de largeur périodique de largeur T vaut plus de $ {\frac{{0,6}}{{T}}}$.

Marc Van Droogenbroeck. Tous droits réservés.
2005-03-11